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Publié par Jardin de Chine

S'étendant sur 350 hectares au nord-ouest de Beijing, le Yuanming yuan 圆明园 constitue sans doute l'apogée de deux mille ans d'évolution de l'art des jardins impériaux. Souvent appelé "l'Ancien Palais d'été", Yuangmingyuan signifie littéralement "le jardin de la clarté parfaite".

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La période de construction du jardin Yuanmingyuan est toujours discutée, mais l'idée la plus répondue veut que le jardin soit l'héritage de la dynastie déchue des Ming et qu'il ait été restauré vers 1677 sous le règne de l'empereur Kangxi 康熙 (1662-1722). Rebaptisé Changchun Yuan 畅春园, ce jardin aurait été offert ensuite par Kangxi à son quatrième fils, le Prince Yong, futur empereur Yongzheng 雍正 (1723-1735).
 

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Après son accession au trône en 1723, Yongzheng a fait agrandir et restructuré le site d'après les principes du Fengshui de manière à constituer un microcosme de l'Empire. Ce n'est qu'à cette période que le jardin fut rebaptisé Yuanming, "Clarté parfaite".  Élevé au Yuanming yuan, son fils, le futur empereur Qianlong (1736-1796), se passionne pour le jardin. Il parachève l'oeuvre en faisant construire, par les artistes jésuites à son service (Giuseppe Castiglione et P. Michel Benoist), notamment par construction des deux jardins annexes : le jardin Changchun 长春园 (terminé en 1749) et Qichun 绮春园 (terminé en 1769).

Ce sont ce que l'on nomme aujourd'hui les "trois jardins Yuangming 圆明三园". La réalisation de ce jardin au XVIIIe siècle correspond à l'apogée tant politique qu'économique et culturel de la Chine.

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Les 7 et 8 octobre 1860, le fabuleux Palais d'Eté de Pékin, le Versailles chinois, est pillé par les Français et les Anglais, au terme d'une expédition militaire destinée à ouvrir la Chine au commerce occidental et surtout à l'opium que les Anglais produisent aux Indes !
Dix jours plus tard, sur ordre de Lord Elgin, il est incendié en représailles aux tortures et à la mort de prisonniers, otages des Chinois. Pour la Chine - et pour le patrimoine de l'Humanité -, la perte est immense, incalculable, irréparable. Le Palais d'Eté, le Yuanming yuan (qu'il ne faut pas confondre avec l'actuel Palais d'Eté de Pékin) était une des merveilles du monde. Il abritait en outre une extraordinaire collection d'œuvres d'art, amassée sur cent cinquante ans, et une inestimable bibliothèque. Tout fut pillé ou brûlé. A titre de comparaison, c'est comme si Versailles, Le Louvre et la Bibliothèque nationale avaient disparu.

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En 1900, Yuangmingyuan a été pillé une deuxième fois par l'Alliance des huit nations. Après la chute des Qing, durant les guerres civiles des années 1920-30 et les années très tourmentées de 1960-70, cet ensemble de jardins fut abandonné et les trésors y restant, tel que les décorations lapidaires, ont petit à petit disparus.
Aujourd'hui, on peut visiter les sites des deux jardins Changchun et Yichun, notamment les ruines des palais baroques incendiés par les troupes franco-britanniques, mais le véritable Yuangmingyuan est toujours fermé au public.

Lettre de Victor Hugo au capitaine Butler

"Hauteville House, 25 novembre 1861
Vous me demandez mon avis, Monsieur, sur l'expédition de Chine. Vous trouvez cette expédition honorable et belle, et vous êtes assez bon pour attacher quelque prix à mon sentiment ; selon vous, l'expédition de Chine, faite sous le double pavillon de la reine Victoria et de l'empereur Napoléon, est une gloire à partager entre la France et l'Angleterre, et vous désirez savoir quelle est la quantité d'approbation que je crois pouvoir donner à cette victoire anglaise et française.
Puisque vous voulez connaître mon avis, le voici :
Il y avait, dans un coin du monde, une merveille du monde ; cette merveille s'appelait le Palais d'été. L'art a deux principes, l'Idée, qui produit l'art européen, et la Chimère, qui produit l'art oriental. Le Palais d'été était à l'art chimérique ce que le Parthénon est à l'art idéal. Tout ce que peut enfanter l'imagination d'un peuple presque extra-humain était là. Ce n'était pas, comme le Parthénon, une œuvre une et unique ; c'était une sorte d'énorme modèle de la chimère, si la chimère peut avoir un modèle. Imaginez on ne sait quelle construction inexprimable, quelque chose comme un édifice lunaire, et vous aurez le Palais d'été. Bâtissez un songe avec du marbre, du jade, du bronze et de la porcelaine, charpentez-le en bois de cèdre, couvrez-le de pierreries, drapez-le de soie, faites-le ici sanctuaire, là harem, là citadelle, mettez-y des dieux, mettez-y des monstres, vernissez-le, dorez-le, fardez-le, faites construire par des architectes qui soient des poètes les mille et un rêves des mille et une nuits, ajoutez des jardins, des bassins, des jaillissements d'eau et d'écume, des cygnes, des ibis, des paons, supposez en un mot une sorte d'éblouissante caverne de la fantaisie humaine ayant une figure de temple et de palais, c'était là ce monument. Il avait fallu, pour le créer, le lent travail des générations. Cet édifice, qui avait l'énormité d'une ville, avait été bâti par les siècles, pour qui ? Pour les peuples. Car ce que fait le temps appartient à l'homme. Les artistes, les poètes, les philosophes, connaissaient le Palais d'été ; Voltaire en parle. On disait : le Parthénon en Grèce, les pyramides en Egypte, le Colisée à Rome, le Palais d'été en Orient. Si on ne le voyait pas, on le rêvait. C'était une sorte d'effrayant chef-d'oeuvre inconnu entrevu au loin dans on ne sait quel crépuscule, comme une silhouette de la civilisation d'Asie sur l'horizon de la civilisation d'Europe.
Cette merveille a disparu.
Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d'été. L'un a pillé, l'autre a incendié. La victoire peut être une voleuse, à ce qu'il paraît. Une dévastation en grand du Palais d'été s'est faite de compte à demi entre les deux vainqueurs. On voit mêlé à tout cela le nom d'Elgin, qui a la propriété fatale de rappeler le Parthénon. Ce qu'on avait fait au Parthénon, on l'a fait au Palais d'été, plus complètement et mieux, de manière à ne rien laisser. Tous les trésors de toutes nos cathédrales réunies n'égaleraient pas ce formidable et splendide musée de l'Orient. Il n'y avait pas seulement là des chefs-d'oeuvre d'art, il y avait des entassements d'orfèvreries. Grand exploit, bonne aubaine. L'un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l'autre a empli ses coffres ; et l'on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l'histoire des deux bandits.
Nous européens, nous sommes les civilisés, et pour nous les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie.
Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ! Les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais.
L'empire français a empoché la moitié de cette victoire, et il étale aujourd'hui, avec une sorte de naïveté de propriétaire le splendide bric-à-brac du Palais d'été. J'espère qu'un jour viendra où la France, délivrée et nettoyée, renverra ce butin à la Chine spoliée.
En attendant, il y a un vol et deux voleurs.
Je le constate.
Telle est, Monsieur, la quantité d'approbation que je donne à l'expédition de Chine.
Victor Hugo"

Lire :
Che Bing Chiu, Yuanming yuan, le jardin de la Clarté parfaite, éditions de l'Imprimeur


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