Les trois sagesses chinoises
Quelles sont les valeurs éthiques et spirituelles des Chinois ? Le taoïsme, le confucianisme et le bouddhisme sont-ils des croyances, des philosophies ou des sagesses ? Il n’existe pas de correspondance directe entre les concepts de la culture chinoise et ceux de la culture occidentale. Un mot d’une langue européenne appliqué à telle ou telle notion chinoise donne la plupart du temps une idée approximative, parfois même fausse, de ce que signifie le mot chinois initial.
Quelques idéogrammes chinois essentiels :
三教 (sān jiào) est souvent traduit par "trois religions" pour désigner taoïsme, confucianisme et bouddhisme. Or jiào signifie "enseignement" (sān = trois)... très éloigné de l’idée de religion.
宗教 zōng jiào. Il n’existe pas de caractère chinois correspondant à l’idée occidentale de religion au sens de "croyance fondée sur un Dieu créateur et transmise par un Livre révélé". Pour traduire ce mot, le chinois a adopté zōng jiào : "enseignement ancestral". Catholicisme devient 天主教 tiān zhŭ jiào : "enseignement du maître du ciel".
神 shén peut désigner des esprits présents dans la nature. Mais lié à d’autres caractères, il exprime des réalités "en rapport avec l’intelligence, l’esprit, l’habileté, l’énergie, la vitalité". Associé au caractère míng 明, brillant, il signifie "sagesse de la nature".
Une autre notion importante, le "culte des ancêtres", peut être mal comprise. Il s’agit en fait de poursuivre dans l’au-delà, le devoir qu’a un fils de nourrir et d’entretenir ses parents, sans considérations religieuses.
Le taoïsme 道教 dàojiào "enseignement de la voie" est un des trois piliers de la pensée chinoise.
L’harmonie, pour les taoïstes, se trouve en plaçant son cœur et son esprit (le caractère chinois du cœur 心 désigne les deux entités) dans la Voie 道 dào, c’est-à-dire dans la même voie que la nature. En retournant à l’authenticité primordiale et naturelle, en imitant la passivité féconde de la nature qui produit spontanément les "dix mille êtres", l’homme peut se libérer des contraintes et son esprit peut "chevaucher les nuages".
Selon Granet, le taoïsme est un idéal d’insouciance, de spontanéité, de liberté individuelle, de refus des rigueurs de la vie sociale et de communion extatique avec les forces cosmiques. Ce taoïsme des grandes chevauchées mystiques a servi de refuge aux lettrés marginaux, ou marginalisés par un bannissement aux marches de l’Empire, aux poètes oubliés, aux peintres reclus... et fascine aujourd’hui bien des Occidentaux.
Laozi 老子 est considéré comme le père fondateur du taoïsme. Les informations historiques le concernant sont rares et incertaines et sa biographie se développe à partir de la dynastie Han. 道德经 Dàodéjīng (le Livre de la Voie et de la Vertu) que la tradition lui attribue est un texte majeur du taoïsme. Laozi est considéré par les taoïstes comme un dieu (太上老君 Tàishàng lǎojūn) et comme leur ancêtre commun.
Le confucianisme 儒家 Rújiā "école des lettrés" ou 儒学 Rúxué "enseignement des lettrés est l'une des plus grandes écoles philosophiques, morales, politiques de Chine. Elle s'est développée pendant plus de deux millénaires à partir de l'œuvre attribuée au philosophe Kongfuzi 孔夫子 "Maître Kong" (551-479 av. J.-C.), connu en Occident sous le nom latinisé de Confucius.
Selon Confucius : "La vertu est une richesse intérieure que tout homme peut acquérir, étant donné que la nature humaine n'est ni bonne ni mauvaise ; aussi tout homme a-t-il la possibilité de devenir un sage, ou de se comporter comme un sot..." Les principaux disciples du maître sont nommés les "Douze Philosophes" 十二哲 et révérés dans les temples confucéens. Depuis l'époque, où, sous les Han, le confucianisme est devenu idéologie d'État en Chine, chaque ville qui était un centre d'administration disposait d'un temple consacré à Confucius, où les fonctionnaires de l'État devaient régulièrement organiser des cérémonies en son honneur. Les salles dans lesquelles Confucius et ses disciples étaient vénérés portaient le nom de wénmiào 文庙 "temples de la littérature"
La Chine est depuis plusieurs milliers d'années régie par un système de pensée complet formé du confucianisme, du taoïsme et du bouddhisme, le confucianisme exerçant la plus grande influence.
Introduit en Chine au milieu du 1° siècle, le bouddhisme y est devenu à partir de la fin du 3° siècle l’un des trois principaux courants idéologiques et spirituels (les "Trois écoles" 三教 sānjiào).
Cette nouvelle religion présentait des caractéristiques en désaccord avec l’idéal moral et social façonné par le confucianisme. Ainsi, le célibat monastique adopté en vue du perfectionnement spirituel individuel contrevenait au devoir de contribuer de façon productive à la famille et à l’empire, au détriment de l'accomplissement personnel si nécessaire.
Avec le taoïsme il offrait des similitudes extérieures. Au début, il en fut parfois considéré comme une forme, et le vocabulaire taoïste servit à traduire celui des sutras. Certaines notions se confondirent au point qu’il est parfois impossible de démêler précisément les deux influences.
À l'exception de certaines influences vajrayana (bouddhisme tibétain) ou hinayana, les principaux courants actuels des bouddhismes japonais, coréen et vietnamien proviennent d'écoles mahayana (en chinois 大乘 dàchéng) qui sont nées ou ont pris leur essor en Chine.
Les trois sagesses chinoises : Taoïsme, Confucianisme, Bouddhisme - Cyrille Javary
À partir de sa connaissance intime de la Chine, Cyrille Javary, auteur d'une monumentale traduction du Yi Jing, nous introduit à la perception qu'ont les Chinois de leur univers spirituel et nous donne les clefs pour l'aborder, non pas à partir de catégories occidentales inadéquates, mais des mots chinois eux-mêmes. Du chamanisme archaïque et toujours vivace aux cultes contemporains, tel celui de Mao, en passant par les enseignements de Laozi et de Confucius, il retrace avec clarté une histoire plurimillénaire de dialogues et d'influences mais aussi de rivalités. Surtout, il nous montre ce que ces sagesses ont d'universel, et en quoi elles nous permettent de mieux comprendre le monde moderne et la Chine actuelle.